Les chercheurs planent
La Presse
En décembre, 30 psychiatres, psychologues, neurologues et travailleurs sociaux se sont réunis dans le décor feutré d’un château anglais du XVIII
siècle, Tyringham Hall. Au signal, chacun a avalé un comprimé de MDMA. Puis un autre.Loin de faire la fête, les 30 chercheurs étaient en pleine séance de formation. Venus de trois continents pour se préparer à remplir la même mission : tester le potentiel thérapeutique de la MDMA dans leur pays respectif, en recrutant quelques dizaines de concitoyens dévorés par l’anxiété ou le stress post-traumatique.
Pour soulager leurs sujets le plus efficacement possible, les chercheurs doivent avoir vécu l’expérience de l’intérieur, expose le document qui leur a permis d’obtenir la bénédiction de la Food and Drug Administration américaine. Les psychiatres n’essaient pas les antidépresseurs ou les antipsychotiques qu’ils prescrivent. Mais pour les techniques psychothérapeutiques, c’est autre chose.
« L’expérience personnelle est considérée comme bénéfique par ceux qui emploient des techniques psychothérapeutiques comme l’hypnose et la psychanalyse. »
— Extrait du document qui a permis aux chercheurs d’obtenir la bénédiction de la Food and Drug Administration américaine
« Avoir expérimenté la MDMA permet de mieux comprendre comment s’en servir pour aider. Mais au Canada, ce n’est pas permis, même pour les chercheurs », déplore Mark Haden, directeur de l’Association multidisciplinaire canadienne pour la recherche psychédélique (MAPS Canada).
Comme de nombreux confrères ayant relancé la recherche sur les hallucinogènes, l’équipe de Vancouver, la D
Ingrid Pacey et le psychologue Andrew Feldmar, y ont goûté par leurs propres moyens avant que cela ne devienne illégal (ce qui a même poussé un douanier américain à refouler le psychologue à la frontière, en 2007, après avoir trouvé ses écrits sur l’internet).Et comme bien des chercheurs de la nouvelle vague, c’est sans doute cette expérience personnelle qui les motive à persévérer dans un domaine de recherche aussi difficile.
C’est aussi le cas de Rick Doblin et d’Amanda Feilding, qui ont essayé le LSD longtemps avant de commencer à amasser des fonds pour financer la recherche (par le truchement de MAPS, lancée aux États-Unis dès 1986, et la Beckley Foundation, fondée en Angleterre en 1998).
De tout temps, l’auto-expérimentation a ponctué l’histoire des hallucinogènes.
Dès le XIX
siècle, des scientifiques s’utilisaient comme cobayes, pour parvenir à isoler les substances actives présentes dans divers végétaux.Dans les années 50 et 60, les chercheurs ont commencé à en ingérer pour explorer plus à fond leur potentiel. En Saskatchewan, les psychiatres Humphry Osmond et Abram Hoffer prenaient du LSD avec leurs femmes et leurs amis, dans l’espoir de comprendre l’origine de la schizophrénie.
À Harvard, le professeur de psychologie Timothy Leary a toutefois dérapé, à tel point que les autorités l’ont accusé de se transformer en gourou. Après avoir perdu son poste, il a tenté de lancer une religion, la League for Spiritual Discovery, pour faire du LSD un sacrement. Et a finalement abouti en prison pour possession de drogue (avant de s’en évader).
Dans les trois décennies suivantes, le chimiste californien Alexander Shulgin a synthétisé et testé plus de 250 nouvelles substances psychoactives. Il en offrait à sa femme et à ses amis. Sans être importuné par la Drug Enforcement Agency américaine, qui l’utilisait comme consultant.
En 1994, le DEA lui a toutefois retiré son permis, n’ayant pas digéré qu’il relate ses expériences dans deux ouvrages, qualifiés de « livres de recettes pour fabriquer des drogues illégales ». Les policiers en retrouvaient apparemment des exemplaires dans les labos clandestins.
En 1963 et 1964, le
et les dénonçaient les méthodes peu rigoureuses des chercheurs rebelles.Ceux d’aujourd’hui évoluent dans un tout autre contexte. Et font tout pour prouver que l’histoire ne se répétera pas.